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mardi 19 janvier 2021

Une enquête à propos d'une plante à fleurs sans chlorophylle: le Monotrope sucepin ( Monotropa hypopitys) !



C'est dans l'ombre d'une pessière ou d'une pinède âgée que j'ai découvert cette étrange Ericacée sans chlorophylle. Sa tige pâle et dressée ainsi que ses fleurs blanc jaunâtre en grappes unilatérales tranchaient avec le vert des tapis de mousses couvrant le sol entre les troncs sombres des conifères.



                                       Le Sucepin (Monotropa hypopitys subsp. hypopitys)

Voici donc une plante à fleurs non chlorophyllienne ! Les plantes sont généralement vertes et  autotrophes, ne dépendant donc pas des autres êtres vivants pour se nourrir. Elles utilisent les matières minérales présentes dans leur environnement (eau, sels minéraux et dioxyde de carbone) et, grâce à l'énergie solaire captée par leurs pigments chlorophylliens, les transforment en matière organique nécessaire à leur fonctionnement. Hors, celle-ci en est dépourvue et croît en des stations extrêmement peu ensoleillées ! Dés lors, on peut se poser la question suivante: comment se nourrit-elle ? C'est justement ce que nous allons tacher ici d'y répondre, ce qui se rapproche d'une véritable enquête à la Sherlock Holmes !





                   Le Monotrope sucepin (Monotropa hypopitys) d'après J.C. Rameau et al. 

1. tige dressée à poils glanduleux et écailles dressées, alternes et entières
2. fleurs presque régulières, blanc jaunâtre, odorantes, disposées en grappe terminale, unilatérale, d'abord courbée en crosse puis redressée à complète floraison
3. 4 ou 5 sépales libres, semblables aux pétales; 4 ou 5 pétales libres rapprochés; style en entonnoir
4. capsules ovoïdes à 4 ou 5 loges contenant de nombreuses graines
5. tige sèche pouvant rester en place jusqu'à l'année suivante



 

Après la présentation de ce végétal particulier, venons-en à notre question ! Sans chlorophylle, le Monotrope sucepin est donc hétérotrophe puisqu'il consomme les substances organiques élaborées par un autre être vivant. En outre, il pourrait être saprophage dans le sens qu'il se nourrirait de tissus en voie de décomposition comme de nombreux champignons et beaucoup de bactéries. Dans ce cas, dans les réseaux trophiques, il ferait partie des "décomposeurs". Mais, j'ai des doutes que ce soit une bonne explication, car les limites du saprophytisme sont difficiles à cerner !


L'Helvelle crépue (Helvella crispa), par exemple, est un saprophyte principalement dans les bois de feuillus.

Continuons nos recherche et cherchons d'autres possibilités ! On pourrait être en présence d'un parasite vivant aux dépens d'un autre être vivant, appelé hôte, dont il tire tout ou partie de ses nutriments. Cependant, il ne semble pas que ce parasitisme soit de même facture que pour d'autres plantes non chlorophyllienne comme les orobanches qui, par l'intermédiaire de suçoirs, parasitent les racines de diverses Dicotylédones (gaillets, genêts, Achillée millefeuille, Fabacées, Lierre, ...) ou comme les lathrées qui agissent de la même manière sur les racines des arbres et arbustes (noisetier, aulne, ormes, peupliers, saules, ...).

                                                     
                                                     Orobanche du trèfle (Orobanche minor)



                                           Lathrée écailleuse (Lathraea squamaria)

Ces deux plantes non vertes de la Famille des Orobanchacées sont des parasites sur les racines de diverses plantes herbacées ou de plusieurs arbres et arbustes par l'intermédiaire de suçoirs.

Le Monotrope sucepin ferait-il partie d'une symbiose, une relation trophique complexe, dans laquelle normalement deux organismes tirent profit l'un de l'autre dans une association permanente ?  C'est le cas des mycorhizes (champignons associés au système racinaire d'une plante supérieure) ! Là, nous nous rapprochons peut-être de la réponse !

 

Par exemple, en forêt, on sait que de nombreux arbres (conifères ou  feuillus) sont associés à des mycéliums qui s'agglomèrent en manchons cylindriques à la surface - ou immédiatement sous la surface de leurs racines. Aux "racines-champignons" ainsi constituées on donne le nom de mycorhizes. Les champignons en cause sont des espèces courantes dont les sporophores s'observent facilement, surtout en automne, dans les bois: amanites, agarics, bolets, ...


Le Bolet élégant (Suillus grevillei) est une espèce mycorhizienne liée aux Mélèzes (Larix spec.).


Coupe dans une racine de pin (x 100): les filaments du champignon symbiotique forment un manchon à l'extrémité de la racine (Dessin adapté de Magnus)

Les mycorhizes absorbent notamment les sels minéraux du milieu extérieur lorsqu'ils sont abondants et les stockent dans leur manchon de mycélium. Après quoi - comme un bon accumulateur - elles se déchargent lentement en assurant une redistribution graduelle de ces sels au système arbre-champignon tout entier. Il est intéressant de noter que dans les sols pauvres ou la production de sels minéraux est très irrégulière, cette intervention des mycorhizes se révèle éminemment favorables aux arbres, ce qui est particulièrement vrai dans les bois de conifères. En revanche le champignon acquiert des arbres le produit de la photosynthèse.


                                                      Photo: Bernd Haynold

C'est peut-être dans ce contexte que nous devrions trouver la réponse, mais avec des nuances ! En fait, comme le disent M. Bournérias et Chr. Bock, il s'agit d'un heureux ménage à trois pratiquant naturellement des échangent complexes. Le Monotrope fut d'abord soupçonné d'être un parasite, à la façon d'une Orobanche et, pourtant, il n'est pas fixé sur les racines du Pin ! Les études de E. Björkmann (1960) ont montré que le Monotrope et l'arbre sont associés à un même champignon mycorhizien (proche des Bolets). Celui-ci cède à la plante non chlorophyllienne les substances organiques prises au végétal autotrophe !

 Pour voir en grand, cliquez sur le dessin !


1. Le Pin
2. Les sporophores des champignons
3. Les Monotropes
4. Mycéliums
5. Mycorhizes

Dessin adapté de Christine Dabonneville


Bernard Boullard (1990) résume cette histoire de façon pittoresque: " il y a un volé (l'arbre), un voleur (le champignon) et un receleur (le Monotrope) ". N'oublions cependant pas que le premier et le dernier reçoivent l'eau et les ions minéraux du " voleur " !

Et voilà le résultat de nos recherches ! Notre Monotrope est en fait alimenté en carbone par des partenaires mycorhiziens: il est dit mycotrophe, ce qui renverse totalement les liens trophiques habituels, ou la plante fournit les produits de la photosynthèse au champignon !

                               Le Suce-pin (Monotropa hypopitys, d'après M.-A. Selosse (2000)

Pour conclure, la plante mycotrophe parasite indirectement un végétal chlorophyllien (le Pin) par le biais d'un mycorhizien commun (le champignon). Monotropa hypopitys forment ainsi des endomycorhizes très spécifiques avec des basidiomycètes ectomycorhiziens (bolets) des conifères (Pins, Epicéas, ...) voisins, ce qui explique qu'on trouve la plante la plupart du temps sous ces arbres. On la surnomme "Suce-Pin ou Sucepin" pour cette raison.

Dans notre région, une autre plante sans chlorophylle mycotrophe croît de mai à juillet à l'ombre des bois à humus doux, principalement des chênaies ou hêtraies, souvent sur des sols riches en bases. Il s'agit d'une Orchidacée sans chlorophylle appelée Néottie nid-d'oiseau (Neottia nidus-avis) en raison de ses racines hypertrophiées par le champignon, réunies en masse compacte ayant la forme d'un nid d'oiseau.


Texte: Fr. Hela
Photos pour lesquelles l'auteur n'est pas indiqué: Fr. Hela 
Mes photos de Monotropa hypopitys ont été prises à Leignon (B), celles de Suillus grevillei, de la pessière et de la pinède à Durnal (B), celles de Neottia nidus-avis et d'Helvella crispa, à Yvoir (B), celle d'Orobanche minor, à Etalle (B) et celle de Lathraea squamaria, à Crupet (B).

Ouvrages consulté:

Boullard B.: " Guerre et paix dans le règne végétal " - Ed. Ellipses, 1990

Bournérias M. et Bock Chr.: " Le Génie des Végétaux - Des conquérants fragiles " Ed. Belin . Pour la Science, Paris, 2006

Bruge H.: " Champignons - Notions élémentaires " - Ed. Les Naturalistes Belges, Bruxelles, 1977

Dabonneville Chr.: "  Les plantes parasites ", in " La Garance voyageuse " (revue du monde végétal), Hiver 2005 - n°72 (pages 18 à 24)

Da Lage A. et Métailié G.: " Dictionnaire de Biogéographie végétale " Ed. CNRS, Paris, 2000

Lambinon J. et F. Verloove: " Nouvelle Flore de la Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg, du Nord de la France et des Régions voisines (Ptéridophytes et Spermatophytes) " Sixième édition - Ed. du Jardin botanique national de Belgique, B-1860 Meise, 2012

Le Tacon Fr. et Lagrange H.: " Les mycorhizes: une association à bénéfices réciproques entre plantes et champignons ", in " La Garance voyageuse " (revue du monde végétal), Automne 2000 - n°51 (pages 12 à 17)

Rameau J.C., Mansion D. et Durmé G.: " Flore forestière française " 1. Plaines et collines - Ed. Institut pour le développement forestier (F), 1989

Raynal-Roques A.: "La botanique redécouverte " - Ed. Belin - INRA, 1994

Selosse M.-A.: " La Symbiose - Structures et fonctions, rôle écologique et évolutif "- Ed. Vuibert, Paris, 2000







 















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