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mardi 2 février 2021

L'Orthétrum brun (Orthetrum brunneum), une espèce méridionale dans notre région !

C'est dans un milieu marécageux bien ensoleillé, avec des zones d'eau stagnante sur substrat argileux et présentant une végétation éparse que j'ai découvert, ces dernières années, l'Orthétrum brun (Orthetrum brunneum) ! Cette espèce est considérée comme rare et vulnérable en Wallonie. En Condroz namurois elle n'est pratiquement pas renseignée.

 
Le 30 juin et le 1 juillet 2018, je parcourais l'étang mis en assec entourant le Château de Crupet pour y observer la végétation pionnière des sols exondés et humides. Non loin du ruisseau de Crupet qui coule à proximité du site, une seule petite partie conservait une surface d'eau libre peu profonde avec quelques plantes dispersées çà et là. Là, à ma grande surprise, au moins six Orthétrums bruns mâles se pourchassaient au ras de l'eau et ses abords, se posaient tantôt à même le sol, tantôt sur un gros bloc de pierre, sur un morceau de bois ou de tige et sur les rameaux séchés d'une plante.



                                                        Orthetrum brunneum mâle

En cette journée chaude et très ensoleillée, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y avait de l'agitation  parmi les libellules ! Je repérais aussi une femelle frappant l'eau du bout de son abdomen pour pondre et, enfin, j'assistais à plusieurs accouplements.



                                                   Orthetrum brunneum: accouplement

En 2017, on procéda à des coupes dans une aulnaie marécageuse de la vallée du Bocq, à Durnal (B). Dans cette formation forestière de la zone alluvionnaire de la rivière, j'avais remarqué des endroits assez marécageux avec une multitude de petits points d'eau pas trop profonds, assez vaseux, où fleurissaient de nombreux Populages des marais (Caltha palustris).


                      Populage des marais (Caltha palustris) dans l'aulnaie marécageuse

Je suis retourné sur les lieux le 6 juillet 2019 et le 13 juillet 2020. La mise en lumière du site avait alors favorisé une floraison assez remarquable notamment de la Reine des prés (Filipendula ulmaria) et de la Salicaire commune (Lythrum salicaria). De multitudes de petites vasques d'eau libre s'étaient formées suite au débardage et, c'est là, que j'ai pu observer à nouveau deux couples d'Orthetrum brunneum aux abords de celles-ci, ce qui constituait ma deuxième observation de l'espèce dans ma région.



                           Orthétrum brunneum: en haut, un mâle et en bas, une femelle

Cet Orthétrum fait partie des Odonates signifiant littéralement "mâchoires dentées" et rappelle le régime exclusivement carnivore de ces insectes. Cet Ordre est subdivisé en deux sous-ordre principaux: les Zygoptères, mieux connus sous le nom de demoiselles, et les Anisoptères que l'on a coutume d'appeler libellules.


Le Leste verdoyant (Lestes virens), par exemple, fait partie du sous-ordre des Zygoptères, Odonates élancés et grêles, ayant des ailes antérieures et postérieures de forme semblable et une tête étirée transversalement. Ceux-ci tiennent, au repos, leurs ailes jointes sur le dos ou légèrement ouvertes. Leur vol est peu vigoureux.


L'Aeschne mixte (Aeshna mixta) à la silhouette robuste est, par contre, du sous-ordre des Anisoptères. Ses ailes postérieures sont plus larges que les antérieures, sa tête à une forme hémisphérique. Ses ailes sont étalées plus ou moins horizontalement au repos. Son vol est beaucoup plus soutenu et rapide.

L'Orthétrum brun est donc un Anisoptère de la Famille des Libellulidés. Le Genre Orthetrum ressemble fort à celui des Libellula qui comprend notamment la fort courante Libellule déprimée (Libellula depressa).


La libellule déprimée (Libellula depressa) mâle se distingue notamment des Orthétrums par la présence de macules noires à la base des ailes postérieures, à son abdomen court, fortement élargi et aplati dorso-ventralement. Les espèces du Genre Orthetrum s'en distingue notamment par l'absence des taches noires à la base des ailes postérieures.

Actuellement, quatre espèces d'Orthétrums sont observés en Wallonie. 

1. L'Orthétrum réticulé (Orthetrum cancellatum) est le plus commun et s'observe sur la plupart des plans d'eau de Belgique. Les imagos aiment se poser sur les grèves de sable, de vase ou de terre nue, ou encore sur des tiges desséchées bien en vue. Les femelles, plus discrètes, ne s'approchent des plans d'eau que pour pondre. Elles rasent alors l'eau d'un vol rapide, s'arrêtent au-dessus des zones qui conviennent et dispersent leurs oeufs en frappant la surface aquatique de l'extrémité de l'abdomen, en changeant constamment de place.


Orthetrum cancellatum (accouplement): les ptérostigmas (cellules colorées situées  près de l'apex des ailes, sur les bords antérieurs) sont noirs, l'abdomen en général est bleu avec l'extrémité noirâtre chez les mâles,  jaune et noir chez les femelles (attention, suivant l'âge, les teintes chez les deux sexes peuvent varier). Il n'y a pas de taches noires dans les ailes.


                                     Orthetrum cancellatum: mâle


L'Orthétrum réticulé a un comportement nettement pionnier. Il habite une grande partie de l'Europe. On le rencontre de mi-mai à mi-septembre sur tous types de plans d'eau, y compris des mares récentes. En Wallonie, c'est une espèce commune et sa fréquence est en augmentation.

2. L'Orthétrum bleuissant (Orthetrum coerulescens) est de taille plus modeste que l'Orthétrum réticulé. Ses ptérostimas sont clairs (jaune ocre). Au contraire d'Orthetrum brunneum, le thorax du mâle est le plus souvent dépourvu de pulvérulence bleue, mais peut occasionnellement en être légèrement recouvert. Son abdomen est entièrement bleu et son front est brun sombre.


La femelle au front jaune ou brun jaunâtre possède un abdomen d'abord jaune avec des lignes noires devenant ensuite brun (parfois bleuâtre chez les libellules âgées).


                                      Orthetrum coerulescens: femelle

L'Orthétrum bleuissant a une distribution sud et centre européenne. Il est peu fréquent en Belgique et vulnérable. En Condroz namurois, je ne connais aucunes données actuellement. On le trouve de juillet à août dans des milieux bien ensoleillés, surtout près de petits ruisseaux lents, de fossés dans des prairies, de suintements, des bas-marais acides et des résurgences dans les carrières riches en calcaire, des drains des tourbières ainsi que dans les landes aux abords de ruisseaux tourbeux pauvres en végétation. L'eutrophisation des eaux serait un facteur très défavorable pour l'espèce, alors qu'elle semble indifférente à la couverture générale de végétation, d'après  B. Gauquie (2010).

3. L'Orthétrum brun (Orthetrum brunneum) est l'espèce qui nous occupe.  Avec l'Orthétrum bleuissant, les caractéristiques des lieux de reproduction de l'espèce sont: un bon ensoleillement, une eau de faible profondeur, présentant une bonne qualité physico-chimique et se renouvelant en permanence par suintement, résurgence ou écoulement (B. Gauquie, 2010). Cependant, il apparaît qu'Orthetrum brunneum occupent des milieux plus variés et que, sur les eaux où l'eau stagne, il se révèle être une espèce essentiellement des stades pionniers, finissant par disparaître lorsque la végétation devient trop haute.


Le mâle d'Orthetrum brunneum est facilement identifiable grâce à la couleur bleue de son thorax au bout de l'abdomen, à la couleur brun rougeâtre ou jaunâtre des ptérostigmas et à sa face blanche ou bleu pâle.


La femelle, à la face également pâle, possède un abdomen entièrement brun jaune avec des paires de points distincts le long de la fine ligne médiodorsale noire.


                                 Orthetrum brunneum: mâle au thorax bleu et à la face pâle

C'est une espèce thermophile largement répandue dans le Sud de l'Europe, en France, dans les Balkans et en Roumanie, qui progresse actuellement vers le Nord. Autrefois très rare chez nous, les observations se sont multipliées, à partir des années 1980, d'abord en Gaume et en Fagne-Famenne, puis de plus en plus à travers tout le pays (R.-M. Lafontaine, Th. Delsinne et P. Devillers, 2013).


4. L'Orthétrum à stylets blancs (Orthetrum albistylum) est un nouveau venu dans notre pays. N'étant pas renseigné avant juillet 2016, année durant laquelle il fut découvert en Famenne et en Lorraine (A. De Broyer et M. Ameels), cet Orthétrum est une espèce très similaire à Orthetrum cancellatum, mais la présence d'appendices terminaux généralement blancs permet de le distinguer. Sa répartition s'étend de l'Ouest de l'Europe au Japon. Il semble en extension vers le Nord suite aux modifications climatiques.


Orthetrum albistylum mâle (Photo Mireille Henry)



Texte et photos: François Hela, à l'exception de celle d'Orthetrum albistylum
Les photos sont prises à Crupet, Durnal, Etalle, Roly, Marche-en-Famenne, Berg et Tenneville (B).

Ouvrages et documents consultés:

de Schaetzen R., Goffart Ph. et Fichefet V.: " Chaud devant...froid dans le dos ! (4), in "Natagora "n°8 - Juillet-Août 2005.

Gauquie B.: " Habitats de l'Orthétrum brun (Orthetrum brunneum) et de l'Orthétrum bleuissant (Orthetrum coerulescens) sur le territoire du Parc Naturel des Plaines de l'Escaut et dans le Bassin carrier tournaisien ", in " Les Naturalistes belges ", 91, 3-4, 2010, pages 37 à 53.

Goffart Ph., De Knijf G., Anselin A. et Tailly M.: " Les Libellules (Odonata) de Belgique - Réparttion, tendances et habitats " - Publication de Groupe de Travail Libellules Gomphus et du Centre de Recherche de la Nature, des Forêts et du Bois  (Région wallonne - DGRNE) - Série "Flore - Habitats ", n°1, Gembloux, 2006.

Goffart Ph. et de Schaetzen R.: " Des libellules méridionales en Wallonie: une conséquence du réchauffement climatique ", in " Forêt wallonne ", 51, 2-5, 2001.

Grand D., Boudot J.-P. et Doucet G.: " Cahier d'identification des Libellules de France, Belgique, Luxembourg et Suisse " - Editions biotope, 2014.

Jurzitza G.: " Libellules d'Europe - Europe centrale et méridionale " - Editions Delachaux et Niestlé, Lausanne-Paris, 1993. 

Lafontaine R.-M., Delsinne Th. et Devillers P.: " Evolution des populations de libellules de la Région Bruxelles-Capitale - leurs récentes augmentations - importance de la gestion des étangs ", in " Les Naturalistes belges ", 94, 2-3-4, 2013, pages 33 à 70.

Lafontaine R.-M. et de Schaetzen R.: " Que s'est-il passé depuis l'an 2000 pour les libellules méridionales en Wallonie et à Bruxelles ? ", in " Les Naturalistes belges ", 90, 3-4, 2009, pages 33 à 46.

Motte G., Vandevyvre X. et Dufrêne M.: " Evolution des populations d'Odonates des Mares de Ben-Ahin, vingt ans après la création de la réserve naturelle ", in " Les Naturalistes belges ", 93, 4, 2012, pages 65 à 84.

Vergie J.: "A la rencontre des Libellules - Découvrez le monde fabuleux des Odonates ", in "Cahier technique de la Gazette des Terriers n°104 - Ed. Fédérations des clubs CPN - 08240 Boult-aux-Bois (F), Mai 2003.


























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